

Il est difficile d’expliquer le drame du Chemin des Dames lorsque l’on se trouve face à l’un des plus beaux paysages de Picardie. Si la nature a formé sur cette crête bordée par les vallées des rivières de l’Aisne et de l’Ailette une forteresse inexpugnable, les hommes vont se déchirer tout au long de l’Histoire pour la posséder. D’abord en 57 av. J.-C., lorsque Jules César met en déroute un gigantesque rassemblement de tribus belges et gauloises, lors de l’un des épisodes les plus retentissants de la guerre des Gaules. Puis c’est au tour de Napoléon, le 7 mars 1814, d’y affronter le prince Blücher venu le défier à la tête des troupes russes et prussiennes. Mais c’est la Grande Guerre qui finit de labourer cette terre de batailles.
L’ÉCHEC DE L’OFFENSIVE NIVELLE
Fin 1916, le général Nivelle, qui remplace Joffre à la tête des armées françaises après ses coups d’éclat à Verdun, croit pouvoir réaliser une percée décisive sur le front français. Sa méthode: une attaque surprise et rapide menée grâce à une préparation intensive d'artillerie. Bien que contrarié par le retrait stratégique allemand de mars 1917, qui surprend l’état-major français, et malgré le scepticisme du pou¬voir politique comme de la plupart des généraux, Nivelle s’entête et provoquera l’une des plus grandes hécatombes de toute la guerre. Il choisit pour son offensive le Chemin des Dames, un secteur alors calme parce que réputé imprenable. Le plan de Nivelle prévoyait qu’en 48 heures les premières vagues étalées sur un front de 30 km devaient atteindre Laon, soit une avance sous un feu roulant d’artillerie de près de 100 mètres toutes les 3 minutes! Une mission impossible pour des hommes ployant sous le poids de l’équipement complet, dont celui de l’arme et des munitions, et devant monter sur un plateau abrupt tenu par des nids de mitrailleuses, le tout sur un sol enneigé.
LE DRAME DU CHEMIN DES DAMES
Un simple regard aujourd’hui sur la ligne d’horizon du Chemin des
Dames suffit à mesurer la folie d’une attaque à cet endroit. Et pour- I tant, le 16 avril 1917 à 6 heures du matin, des centaines de milliers I w d’hommes se lancent à l’assaut des pentes du plateau. À 7 heures, I uj les premiers rapports font déjà état de montagnes de cadavres! Les I 5 Allemands, qui avaient été prévenus de l’offensive par leur service de I û renseignements, connaissaient les plans et l’heure exacte de l’attaque. I {2 Après un pilonnage ininterrompu pendant deux semaines, ils ont I □ attendu dans leurs abris souterrains. Ceux qui ont survécu sortent I z avec les mitrailleuses et tirent sur les Français totalement à découvert. I 2 À Craonne, les Allemands sont solidement retranchés dans le village I i et sur les hauteurs du plateau de Californie qu’ils ont rebaptisé I o « Winterberg », véritable bastion fortifié de plusieurs lignes de tranchées I ïï et de casemates en béton. Sous le Chemin des Dames, que tentent de I dépasser les Français, le sous-sol est percé de tunnels qui permettent I aux Allemands de se déplacer et d’attaquer l’ennemi à revers. Les I anciennes carrières de pierre appelées «creutes» ou «boves» sont I intégrées à cette redoutable organisation défensive^ L’une d’entre elles se retrouve en première ligne, près de la ferme d’Hurtebise : la Caverne du Dragon ou «Drachenhôhle » en allemand. Reprise tour à tour par les troupes allemandes et françaises, elle sera occupée dans l’obscurité totale par les deux armées durant l’été 1917 avant d’être gagnée par les Français en novembre 1917. Autour, ce sont les régi¬ments de tirailleurs sénégalais (unités composées de soldats venus des nombreuses colonies françaises d’Afrique noire, encadrées par des officiers blancs) qui sont décimés lors de l’attaque du 16 avril. Ce même jour, plus à l’est, pour la première fois l’armée française emploie l’«artillerie spéciale», composée de chars d’assaut conçus par le général Estienne. Dans une partie moins accidentée du plateau, vers Berry-au-Bac, les monstres de métal ne feront que quelques dizaines de mètres avant d’être laminés par l’artillerie allemande.
UNE CRÊTE IMPRENABLE
Pour les innombrables blessés français commence alors un long calvaire pour arriver jusqu’aux postes de secours. Les hôpitaux d’évacuation sont totalement dépassés par l’arrivée de ces estropiés, dont beaucoup périssent en attendant d’être soignés. Au Chemin des Dames, l’horreur des combats se double d’qn désastre sanitaire. Après encore un mois d’affrontement et près de 120000 morts, blessés et disparus côté français, le général Nivelle est relevé de son comman-dement le 15 mai 1917 et remplacé par le général Pétain. La terrible bataille du Chemin des Dames contribue au déclenchement d’une crise de confiance sans précédent entre les soldats français et leur commandement, pour aboutir à d’importantes mutineries entre mai et juillet 1917. C’est donc dans un contexte tendu que les combats se poursuivent durant l’été pour consolider les maigres gains français. Sur le plateau, la bataille des observatoires fait rage pour le contrôle des points d'observation du Chemin des Dames comme sur les monts de Champagne près de Reims. Le général Pétain, fort de ses nou¬velles méthodes de combat, décide d’une nouvelle attaque au mois d’octobre autour de Laffaux et du fort de la Malmaison. La bataille de la Malmaison, malgré de très lourdes pertes, demeure un succès militaire qui est très largement exploité auprès de l’opinion publique pour inscrire une victoire à l’année 1917, après l’échec retentissant de l’offensive Nivelle.
Car la Grande Guerre au Chemin des Dames ne se résume pas au désastre de 1917. Dès le mois de septembre 1914, la BEF (British Expeditionary Force) perd plus de 12 000 hommes pour tenir la rive nord de l’Aisne autour de Cemy-en-Laonnois. En 1915 et 1916, les Allemands tenteront de repousser jusqu’à l’Aisne les premières lignes françaises en lançant plusieurs attaques, comme à la Ville-aux-Bois- lès-Pontavert, où est blessé le poète Guillaume Apollinaire.
L’année 1918 n’épargne pas non plus le Chemin des Dames. Le 27 mai, l’armée allemande choisit d’attaquer depuis la crête du Chemin des Dames en déclenchant l’une des plus grandes offensives de toute la guerre. Avec 40 divisions, elle reprend en seulement 4 heures le ter¬rain si chèrement gagné par les Français en 1917, avant de foncer sur Soissons et Château-Thierry qui est pris le 18r juillet. Des divisions britanniques venues se reposer près de Craonne, après avoir combattu dans la Somme et à Arras, perdent la moitié de leurs effectifs lors de cette attaque surprise. Il faudra attendre octobre 1918 pour la recon¬quête du Chemin des Dames par l’armée du général Mangin où s’illus¬treront quelques régiments italiens engagés aux côtés de la France. Aujourd’hui, le nombre de soldats morts et disparus au Chemin des Dames demeure encore incertain. On sait seulement qu’il faudrait plus que les 30 km de la funeste route pour tous les aligner.
Perchée sur sa montagne, Laon, la grandiose cité médiévale picarde, fut choisie pour accueillir le quartier général de la 7e armée allemande pendant presque toute la Grande Guerre. La ville haute, qui servait alors de cantonnement, vit séjourner en base arrière (1918) un certain soldat du nom d’Adolf Hitler. Ernst Jünger, le célèbre auteur d’Orages d’acier, arpenta également les ruelles de la vieille ville. L’un comme l’autre allaient y revenir en juin 1940 !
Alors que le nom du Chemin des Dames apparaît dans les communiqués militaires dès septembre 1914, l’appellation est définitivement associée à l’offensive du 16 avril 1917 et l’explication consacrée: les filles du roi Louis XV, Adélaïde et Victoire, dames de France, seraient venues visiter leur dame d’honneur, la comtesse de Narbonne-Lara, au château de la Bove, détruit par les bombar¬dements de l’offensive Nivelle. Des voyages qui auraient laissé son nom au chemin qu’elles empruntaient. Mais rien n’est moins sûr: les filles du roi ne seraient venues qu'une fois!
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Des balades à bicyclette d’une demi-journée, accompagnées par un guide passionné et passionnant (qui pousse même la chanson de Craonne, sur le plateau de Californie).