Toujours sur la D18CD, peu après le plateau de Californie. Peut-être bien la visite la plus émouvante de cet itinéraire. De l'ancien village de Craonne (en Picardie, on prononce «Cranne»), les combats de l’offensive Nivelle n’ont laissé que le cimetière et ses quelques tombes moussues noyées dans la futaie. Après la Première Guerre mondiale, une seule et unique sépulture y sera installée. En 1994, l’écrivain Yves Gibeau a souhaité reposer pour l’éternité à Craonne. Démarche hautement symbolique pour cet ancien enfant de troupe, auteur d’Allons z’enfants (1952), un des bouquins les plus antimilitaristes jamais écrits.
Du cimetière, on peut grimper vers le rebord du plateau de Californie.
La tour-observatoire: depuis avril 2013 se dresse sur le plateau de Californie une structure en bois modulable de 20 m de hauteur qui permet d’embrasser du regard l’ensemble du champ de bataille jusqu’à la w plaine de Reims. Elle rappelle l’importance stratégique des points hauts uj durant la Grande Guerre. Elle est équipée d’un phare de couleur bleue qui, la nuit, constitue un signal de mémoire dans le paysage, û - De l’autre côté de la départementale, l’ancien village a été symboliquement transformé en arboretum.
Encore quelques tombes et puis, au milieu des trous de bombes verdoyants, les fondations de l’église. Dans cet univers, aujourd’hui d’une S bucolique sérénité, on suit le tracé des anciennes rues (Saint-Rémy, x de la Pissotte...) ponctuées de discrètes pancartes. Le monument aux O morts, élevé en 1927, est le plus travaillé du Chemin des Dames avec ses colonnes à l’antique et son décor floral.
En 1918, Craonne n’est plus qu’un nom sur une carte. Du village, peuplé de 1 800 habitants avant la guerre, il ne reste absolument rien. Classé en zone rouge, le village ne fut pas reconstruit à son emplacement d’origine mais quelques centaines de mètres plus bas. Oublié de la mémoire officielle en raison de la défaite de 1917, le lieu continue cependant de vibrer dans le cœur des anciens combattants grâce à la plus célèbre chanson de la Grande Guerre: la chanson de Craonne. Sur un air en vogue à l’époque, un soldat demeuré inconnu plaça un refrain qui commençait ainsi: «Adieu la vie, adieu l’amour, adieu toutes les femmes. C’est bien fini, c’est pour toujours, de cette guerre infâme... ». Jugée trop antimilitariste et ravivant le souvenir des mutineries de 1917, la chanson de Craonne a été interdite en France jusqu’en 1974, date à laquelle Valéry Giscard d’Estaing a autorisé sa diffusion sur les ondes.