Laissez-vous conter la cathédrale de Laon...

Vous voilà sur le flanc nord de la cathédrale, sur la Place Aubry actuelle. Derrière vous se trouvent les escaliers partant de l'ancienne Porte Germaine et vous permettant de gagner la Promenade Yitzhak Rabin. Profitez-en pour vous adosser au muret des remparts et observez la plaine du nord qui s'étend devant vos yeux...

Le premier âge gothique : l'exemple de Laon. Quand les travaux de la cathédrale gothique de Notre-Dame de Laon commencent, au début des années 1150, d’autres villes de Picardie ont déjà entamé leur chantier. C’est le cas de Noyon et de Senlis qui, après l'église abbatiale de Saint-Denis, ont été les premières à adopter les règles de l'architecture gothique. Quelles sont donc ces règles ? Elles se caractérisent par une volonté nouvelle de légèreté, de clarté et de hauteur. L’architecture repose désormais sur l'utilisation de la croisée d'ogives, qui dirige les poussées de la voûte vers les piliers. Ces piliers étant eux-mêmes consolidés à l'extérieur par des arcs-boutants et des contreforts, les murs ne supportent plus tout seuls l'ensemble de la structure. C'est ce qui permet de ménager des fenêtres très hautes et de faire entrer la lumière. Le chantier de cette cathédrale a débuté par le chœur, achevé dans sa première version vers 1170, et le transept. Il a progressé ensuite vers la nef, puis la façade occidentale a été terminée très probablement avant 1200. Par ailleurs, les trois portails de cette même façade sont surmontés de frontons triangulaires sculptés, appelés « gâbles ». C'est une grande originalité de Laon, qu'on ne retrouve dans aucune autre cathédrale de cette époque. C’est aussi le seul édifice du premier art gothique à avoir été conçu avec trois façades à doubles tours, ce qui a servi de modèle à la cathédrale de Chartres. En Allemagne, les cathédrales de Bamberg et de Naumburg s'en sont aussi inspirées.

Levez les yeux et admirez les deux tours de façade ornées de leurs bœufs si particuliers ! La cathédrale en compte trois autres, dont la tour-lanterne dont la fonction - comme son nom l'indique - est de créer un apport de lumière au niveau du transept. Et au final, elle devait en avoir deux autres qui n'ont jamais été bâties...

Elles font partie des fameuses "7 merveilles de Laon", laissez-nous vous les dévoiler !

Approchez-vous et constatez comme les trois portails de façade sont proéminents, mais aussi richement décorés...

De sa fondation jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, cette cathédrale avait été très régulièrement entretenue. Mais après la Révolution française, Notre-Dame de Laon perd son statut de cathédrale et devient une simple église paroissiale. Pendant la première moitié du XIXe siècle, elle est laissée à l'abandon. À tel point que son état général devient inquiétant : les deux tours de la façade occidentale menacent de s'écrouler, d'importantes lézardes sont découvertes dans la voûte, et le décor sculpté s'effrite un peu partout. En 1840, elle est classée « Monument historique ». Les premiers travaux de restauration commencent alors. Mais il faut attendre, en 1853, l'intervention d'Émile Boeswillwald, un proche d'Eugène Viollet-le-Duc, pour que Notre-Dame de Laon connaisse enfin une restauration complète de sa voûte et du décor sculpté de ses portails. Pendant près de cinquante ans, Boeswillwald supervise le chantier. C’est l’œuvre de sa vie. Au portail central, sous la gargouille, sa tête sculptée rappelle son dévouement inlassable qui a permis le sauvetage de l’édifice. À la veille de la Première Guerre mondiale, c’est le second chantier de restauration en France, après celui de la cathédrale Notre-Dame de Paris.

Venez maintenant vous positionner devant le portail de droite, celui par lequel vous allez pénétrer dans la cathédrale...

Au Moyen Age, l'Église domine la société, et la vie s'organise autour des grandes fêtes chrétiennes. Les fidèles vont à la messe le dimanche et écoutent les sermons. Mais à une époque où la majorité de la population est analphabète et ne comprend pas le latin, l'enseignement du christianisme passe par l'image. C'est ainsi que les principaux épisodes de la vie du Christ et de la Vierge sont sculptés sur les portails des cathédrales et des églises. La volonté didactique est évidente : il faut frapper les esprits, faire vivre le message divin, et imprégner les fidèles des leçons de l'Église. Quelques grands thèmes se retrouvent constamment repris d'une cathédrale à l'autre : le Christ du Jugement dernier, comme à Saint-Denis ou à Laon, qui annonce la fin des temps et la résurrection, ou bien le Couronnement de la Vierge, comme à Paris ou Senlis, qui apparaît dès la fin du XIIe siècle. Si la sculpture religieuse connaît son apogée au début du XIIIe siècle, elle n'est pas une invention de l'architecture gothique. Elle existe déjà dans l'art roman. Mais la nouveauté, au XIIe siècle, c'est que la religion s'humanise et s'éloigne des peurs de l'an Mil. La sculpture adoucit le visage du Christ, associe la Vierge à son Fils et consacre l'avènement d'un christianisme pacifié.

Vous voila maintenant dans le grand vaisseau de la cathédrale, admirez cette perspective et cette lumière !

On ne sait rien sur les bâtisseurs de cette cathédrale. Cependant, les similitudes entre Notre-Dame de Laon et les cathédrales de Senlis et de Noyon laissent penser qu'ils connaissent les autres villes de Picardie, et qu'ils se sont peut-être formés en Ile-de-France. Les bâtisseurs sont des gens de métier, remarquables par leur culture technique. Habiles géomètres, ils maîtrisent le calcul des proportions. On en a d'ailleurs la preuve au centre de la nef, avec une pierre noire incrustée dans le pavage. Quatre rectangles y sont gravés. Ce sont les rectangles de référence qui auraient servi au tracé régulateur de l'édifice. Deux de ces rectangles sont dans les proportions du nombre d'or, obtenu par le compas, et qui incarne la perfection divine. Les deux autres supposent une parfaite connaissance des suites géométriques, dont l'une est fondée sur le carré. Autant de figures mathématiques qui témoignent du génie des architectes de cette cathédrale. Sur ce chantier, toutes les compétences ont été réunies : les carriers, les maçons, les tailleurs de pierre, les sculpteurs, les charpentiers, les forgerons, les verriers... Mais la principale difficulté pour bâtir une cathédrale réside dans le transport des matériaux. Pour l'approvisionnement du chantier, il faut de grandes quantités de pierre, de bois et de sable. Heureusement, Laon et ses environs disposent de nombreuses carrières souterraines, faciles d'accès et très riches en calcaire de bonne qualité.

Vous remarquerez que les bas-côtés comportent de nombreuses chapelles. Ces chapelles ont été ajoutées entre 1294 et le milieu du XIVe siècle pour répondre à la demande croissante des confréries et des corporations. Dédiée chacune à un saint patron, elles ont pour fonction d'accueillir des messes privées, et surtout de rappeler la puissance des familles les plus importantes de Laon. Tout au long du Moyen Age, le décor de ces chapelles s'est enrichi d'objets d'art, de peintures murales polychromes et de retables. À la fin de la Renaissance, elles ont été fermées par des clôtures de pierre. Ces clôtures obéissent à un modèle de construction identique : un soubassement sculpté de bas-reliefs, une claire-voie à colonnes doriques, et quatre pilastres qui encadrent une porte de chêne sculpté. Un tel ensemble ornemental est aujourd'hui unique en France. Ces chapelles ont perdu l'essentiel de leur décor et de leur mobilier sous la Révolution française...

Le pavage polychrome de cette chapelle, posé en 1997, a été fabriqué par des élèves de 6 à 12 ans. Ces petits carreaux en céramique rappellent les riches pavements qui décoraient les édifices religieux au Moyen Age. La tradition est ancienne puisqu'elle remonte au début du XIIe siècle. À l'origine, les premiers pavements se composaient de carreaux monochromes jaunes et verts. Puis, au milieu du XIIIe siècle, les carreaux sur fond rouge ont fait leur apparition, ce qui a permis de nouvelles associations de couleurs. Les motifs les plus répandus, aux XIVe et XVe siècles, sont les rosaces et les fleurs de lis. Au début du XVIIe, ils ont été remplacés progressivement par des dalles en pierre ou en marbre noir et blanc. C'est alors la fin des sols de couleur dans les cathédrales...

De nombreuses fêtes locales ponctuaient la vie religieuse à l'époque médiévale : connaissez-vous celle de l'âne, ou celle des Fous ?

Vous êtes maintenant dans ce vaisseau transversal séparant la nef du chœur, le transept...

C’est depuis l’Antiquité que sont fixés les sept Arts Libéraux (qui nous seront connus par Alcuin, le conseiller de Charlemagne), d’ordinaire divisés en : - Trivium (étude des "voces", des mots, de la langue) : la Grammaire / la Dialectique / la Rhétorique - Quadrivium (étude des "res", les choses, les nombres) : l’Arithmétique / la Musique / la Géométrie / l’Astronomie Ici à Laon on relève de légères modifications : tout d'abord dans le traitement de la voussure, aux 7 Arts Libéraux sont accolés la Médecine, et l’Architecture ; mais également pour la Rose, la Médecine étant également présente, et le médaillon central étant occupé quant à lui par la Philosophie (la « Sagesse et ses sept filles »). Le climat entourant la construction de la cathédrale en cette fin XIIe est imprégné de la pensée d’Hugues de Saint-Victor (1096 – 1141, théologien et philosophe), qui a mis l’accent sur l’importance des Arts dits Mécaniques (tels l’architecture, la médecine) élevés au niveau des savoirs considérés comme nécessaires. Cependant, même si la Médecine ne faisait pas partie officiellement des 7 Arts, elle y était rattachée à cette époque médiévale de plus en plus car elle commençait à devenir une science à part entière.

Abélard, ce nom vous dit quelque chose ? Mais bien sûr, pour son histoire d'amour tourmentée avec Héloïse ! Mais il fut aussi à Laon l'élève de Maître Anselme, considéré comme l'un des plus grands théologiens de son temps...

Vous ne pouvez les rater, ils sont en pierre bleue de Tournai...

Au Moyen Age, la sculpture religieuse utilise les animaux pour frapper les esprits. Partout, les légendes les plus incroyables sont représentées pour symboliser la peur du diable et la victoire de Dieu sur le Mal. Aux XIIe-XIIIe siècles, les artistes prennent souvent pour référence le Miroir de l'Église d'Honorius d'Autun. C'est un livre qui classe les figures animales en fonction de leur signification. Ainsi, le dragon est considéré comme une bête maléfique, tandis que la licorne symbolise la pureté de la Vierge. Sur les sculptures des portails, les mêmes symboles du bestiaire religieux se retrouvent associés d'une cathédrale à l'autre : les gorgones de l'Apocalypse, le serpent de la Genèse, la colombe du Saint-Esprit. À une époque où la grande majorité de la population ne sait ni lire ni écrire, le symbolisme animalier est un moyen simple pour l'Église de diffuser le message du Christ.

Cette clôture en chêne date du XVe siècle et a sans doute été réalisée par des ébénistes locaux. Déménagée à plusieurs reprises, elle ferme depuis 1840 la chapelle du Sépulcre. Son décor est tout à fait caractéristique de la fin de l’âge gothique : un décor en plis de serviette dans les panneaux inférieurs, une claire-voie finement ciselée, et deux religieux en prière qui surplombent l'ensemble. C'est un remarquable témoignage de la sculpture sur bois de la fin du Moyen Age.

Gagnez maintenant l'extrémité orientale de la cathédrale : vous voilà au niveau du chœur, cette partie d'une cathédrale (ou d'une église) où se trouve la maître-autel et où se tenaient les membres du clergé et les chantres...

Depuis le Moyen Age, la cathédrale de Laon présente une juxtaposition d'espaces sacrés très différenciés. C'est la grande église du diocèse, où l'on vient vénérer la Vierge et les reliques de saint Génébaud, le premier évêque de la ville. Mais c'est aussi l'église des pèlerins, et surtout l’édifice de l’évêque et du chapitre. Jusqu'au XVIIIe siècle, le chœur était complètement fermé aux fidèles. Une clôture de pierre et le jubé en interdisaient l'entrée aux profanes. Mais en 1772, le clergé décide de modifier le dispositif liturgique de la cathédrale et conçoit une nouvelle décoration. Le jubé est démoli, les clôtures de pierre tout autour du sanctuaire sont abattues et des grilles dorées en fer forgé sont installées. Mais ce nouveau décor, inspiré de l'esthétique baroque, a complètement disparu sous la Révolution. Seul subsiste le caveau du cardinal de Rochechouart, dernier évêque de Laon, mort en 1777 et enterré derrière le maître-autel. La grille actuelle du chœur, dorée à l’or fin, provient du couvent des Célestins de Villeneuve-Saint-Germain. À la fin du XIXe siècle, pour répondre aux nouvelles exigences de la liturgie moderne, Émile Boeswillwald a réorganisé le chœur dans le style néogothique. Quant à l’autel, il a été définitivement installé en 1912.

Les chanoines, attachés au service de l'évêque, étaient à cette époque inhumés dans la cathédrale; venez admirer quelques dalles funéraires dans cette chapelle...

A l'époque médiévale, le collège des chanoines de Laon était l'un des plus importants du Royaume, et l'un des plus puissants...

Avez-vous remarqué que le chevet de la cathédrale de Laon était plat ? Un riche programme iconographique s'y déploie, observons-le de plus près...

Le miracle de Théophile est un thème assez fréquent dans le vitrail au 13e siècle; outre Laon, on le retrouve également à Chartres ou au Mans...

Cette icône peinte sur bois représente le visage du Christ. Elle appartient à cette famille d’images religieuses considérées comme « non faites par la main de l’homme », qui ont été particulièrement vénérées au Moyen Age. Celle-ci daterait de la seconde moitié du XIIe siècle ou du début du XIIIe siècle. En 1249, un chanoine de la cathédrale, Jacques de Troyes, le futur pape Urbain IV, l’a envoyée depuis Rome à sa sœur, qui était alors mère supérieure de l’abbaye cistercienne de Montreuil-en-Thiérache, non loin de Laon. Depuis 1795, l’icône est conservée dans le trésor de la cathédrale. Restaurée en 1990, elle est présentée depuis 1992 dans la chapelle Saint-Paul, derrière une vitrine étanche à hygrométrie stabilisée.

Abritant de nombreuses reliques de saints, Laon était une halte privilégiée pour les pèlerins de tous horizons...

Au Moyen Age, le quartier canonial de Laon, fermé par des murs et des portes, formait une véritable ville dans la ville. Il a été complètement reconstruit dans la seconde moitié du XIIe siècle. Il regroupait une cinquantaine de maisons où vivaient séparément les chanoines, entourés de leurs proches, de leur chapelain et de leurs serviteurs. Les membres du chapitre se retrouvaient tous les matins dans le cloître pour les prières, assistaient aux messes, prenaient ensemble leurs repas au réfectoire, et pour les grandes décisions, ils se rassemblaient dans la salle capitulaire. Aujourd’hui, les murs et les portes qui fermaient le quartier canonial ont presque disparu et les maisons médiévales de chanoines ne sont plus visibles, sauf celle de la ruelle Pourrier : vous pourrez la reconnaître à ses deux cheminées rondes..