SAIGNON - Chemin de La Gardette

La situation stratégique de Saignon, propice à l’observation et à la défense, en fait un lieu privilégié d’occupation groupée dès l’Âge du Fer (entre -750 et -125 av. J.-C.). À l’Antiquité, avec l’arrivée des Romains (en 124 av. J.-C.), le village s’organise autour d’Apta Julia, de la Via Domitia et de grandes exploitations agricoles environnantes. À la chute de l’Empire romain (en 476), la société féodale se structure autour du castrum (château fortifié) de Saignon, enrichi de monuments religieux voisins (Saint-Eusèbe, Saint-Sauveur, etc.).

Au Miocène, il y a 20 millions d’années, la mer transgresse et recouvre la Provence. On peut aujourd’hui visualiser son arrivée dans les couches géologiques. Une première couche de sables verts, correspond à l’ancien littoral. La glauconie, minéral riche en fer donnant cette teinte verte, se forme dans les eaux peu profondes. Ces sables sont surmontés d’un conglomérat de galets, parfois verdis également, charriés par l’arrivée de la mer. Au-dessus, une fois la mer installée, s’est déposée une roche sédimentaire : la molasse.

La molasse est une roche : un calcaire gréseux biodétritique (qui contient des grains de sable et aussi beaucoup de débris de fossiles variés). Cette roche sédimentaire jaunâtre s’est déposée dans la mer, autour du Luberon qui formait alors une île ou un haut-fond. Elle garde la trace des conditions de dépôts en milieu agité, sous formes de chenaux et de stratifications obliques. Résistante à l’érosion elle forme de vastes plateaux comme celui des Claparèdes !

Sur le plateau des Claparèdes, le Grand Luberon et le Mourre Nègre son sommet et ses 1125 m, sont très présents dans le paysage. Mais ici, ce promontoire offre au nord-ouest une fenêtre sur le Mont-Ventoux (1909 m) au nord-ouest et Lure (1826 m) au nord-est, puis sur les Monts-de-Vaucluse, avec plein nord, le sommet de Saint-Pierre sur La-Garde-d'Apt ; le véritable point culminant du territoire du Parc du Luberon avec ses 1256 m d'altitude. Au premier plan, la colline des Puits et le plateau de Caseneuve qui dissimulent le Colorado provençal.

Claparèdes vient de « clapàs » qui signifie tas de pierres en provençal. Les paysans ont toujours ramassé les pierres des champs afin d’améliorer leur terre, celles-ci restaient en tas ou servaient à des constructions en pierre sèche. De nombreux bories et murets sont présents sur cette partie du plateau qui s’étend entre Saignon et Auribeau. La Gardette, ancienne terre de céréales, est aujourd'hui fortement envahie par les bois.

Sur La Gardette, les tas de pierre régulièrement espacés et aux volumes comparables (3 m3), ne sont pas des cabanes effondrées du néolithique (-100 000 ans), ni les ruines d’un Saignon de la protohistoire (-750 ans). Ces clapiers sont le résultat de l'épierrage ancestral du terroir et ont été amoncelés sur des zones sacrifiées consécutif à l'épuisement des sols. Il n'y a donc rien d'extraordinaire à ce que des outils néolithiques, ramassés lors d’épierrage, aient été retrouvés dans des clapiers.

Ici de chaque côté des deux murs, se cache sous les broussailles une multitude de petites bories. Une borie est une construction originale par l’emploi unique de la pierre et sa technique de montage. Le couvrement ou la voûte est dite en encorbellement ; c’est une technique qui consiste à poser les pierres en assise avec dépassement de la rangée supérieure sur l’inférieure. Les plus anciennes se seraient écroulées suite à leur abandon. Celles encore en place n’auraient pas plus de 3 ou 4 siècles.

Ce belvédère ouvert vers l’est offre un très beau point de vue sur la vallée du Calavon qui occupe une cuvette synclinale (= forme de pli des couches de terrains dessinant une dépression) bien marquée dans le paysage. Au sud du synclinal se dresse le grand massif anticlinal (pli en voute) du Luberon. Au nord se distingue la Montagne de Lure, autre massif anticlinal. Et à l’arrière-plan, à l’est, les Préalpes, enneigées jusqu’au printemps, barrent l’horizon.

Ce vieux chemin rural a été mis en lumière dans les années 1980 par François et Claude Morenas, infatigables défricheurs d’itinéraires. Quelques traces de vieux balisages de couleur bleu persistent encore. A l’automne 2016 le comité départemental Vaucluse de randonnée avec l’appui technique du Parc, ont organisé une journée de débroussaillage de bénévoles sur cet itinéraire. Puis en mars 2017, c’est avec le Lycée Agricole La Ricarde de l'Isle-sur-la-Sorgue que le balisage a été entièrement refait.

Sur ce vieux chemin qui reliait les champs aux fermes voisines mais également Buoux et Auribeau, vous pouvez aisément remarquer des encoches taillées et usées dans deux affleurements de roche successifs. Un témoignage supplémentaire de l'activité agricole ancestrale ayant lieu sur le plateau des Claparèdes...

François Morenas était le tenancier de l'ancienne Auberge de Jeunesse de Regain, toute proche. Aujourd'hui décédé, il est le précurseur des premiers chemins de grandes randonnées de Provence. En chemin, vous remarquerez des traces de peinture de couleur bleue, restes ses balisages. Créateur d’itinéraires de randonnées dès 1953, il était aussi écrivain et cinéaste ambulant ! A Saignon, se déroule encore chaque été, en plein air, des projections de vieux films fièrement conservés par F. Morenas et ses amis.

Les champs de lavande et lavandins émaillent les paysages luberonnais, qu’ils colorent au début de l’été de stries bleu-mauve. Venue de l’ouest du bassin méditerranéen, la lavande était déjà utilisée par les Romains pour conserver le linge et parfumer les bains. Dans les collines sèches de Provence, la lavande sauvage fut utilisée dès le Moyen Age pour son parfum mais également dans la composition de médicaments. Elle est récoltée lors de fortes chaleurs qui favorisent la montée de l’essence dans la fleur.

En bordure du sentier mais aussi un peu partout dans le sous-bois, vous remarquerez les nombreux alignements de murs consécutifs à l'épierrage ancestral et des murs de soutènement en pierre sèche. Ces constructions aujourd’hui délaissés, confortaient autrefois les terrasses cultivées en restanque (''digue'', ''tanqué'' pour tenir debout) ou "bancaou" (pour banquette en provençal). Ces murs laissaient passer l’eau de ruissellement tout en contenant la terre pour des cultures de subsistances ; essentiellement du blé et du fourrage pour les bêtes.

Les grandes fermes sont le résultat d’agrandissements successifs, en fonction des besoins de l’exploitation. Le mas en « L » est orienté sud-est, offrant ainsi une protection contre le mistral (qui souffle nord-ouest). Les ouvertures sont absentes au nord et plutôt étroites ailleurs afin de se protéger de la chaleur en été et du froid en hiver. En bas du corps principal étaient disposées les pièces de vie et les bêtes à cause des dégagements de chaleur. A l’étage, les chambres et les greniers.

Le Gui des feuillus (Viscum album album) est une plante parasite qui vit aux dépens d'un arbre hôte, comme ici un amandier. Sa toxicité est liée à la présence de protéines. Son ingestion peut engendrer des diarrhées et des douleurs abdominales. Mais le gui, nanti de vertus extraordinaires dans la mythologie antique et germanique, fut célèbre jusqu'au XIXe s. pour guérir l'épilepsie. Aujourd'hui, ses préparations trouvent une indication dans l'hypertonie, l'hypotension, l'artériosclérose…