Le Sentier des Verriers

En 1715, à la fin du règne de Louis XIV, le verrier Jean Adam STENGER obtient du comte de Hanau-Lichtenberg, maître du territoire, l’autorisation de construire une verrerie et une ferme au lieu-dit HOCHBERG. Pour faire fonctionner la manufacture, la charte fondatrice l’autorise ainsi que ses descendants, à prélever le bois de hêtre nécessaire dans la proche forêt du Hüttenwald, d’une superficie d’environ 350 ha. En outre le maître-verrier a le droit de prélever le bois dépérissant dans les forêts de WIMMENAU et de HUNEBOURG pour la production de cendres nécessaires à la production de potasse destinée à abaisser la température de fusion du verre. Verres à vitres, bouteilles et verres de montre font partie des fabrications de la verrerie. Au XIXe siècle, la famille TEUTSCH, propriétaire des lieux innove en introduisant la couleur pour la réalisation de vitres, tuiles plates et creuses. La manufacture cesse ses activités en 1868, suite aux restrictions des droits au bois de chauffage imposées par l’administration forestière du Second Empire. Dès lors les verriers quittent les lieux cherchant à valoriser leur savoir-faire à travers le monde.

Cimetière aménagé par Edouard TEUTSCH, fabricant de verre et député protestataire, sans doute vers 1875. Il y fait transférer les tombes de ses parents et de son frère Henri jusque-là inhumés au cimetière communal de WINGEN. Quatre monuments dont trois avec des inscriptions en allemand dressés devant la grille d’entrée rappellent ces sépultures d’origine. A l’intérieur de l’enclos, les stèles, toutes de même taille et de même style, entourent le petit monument central. Parmi elles, celle d’Edouard TEUTSCH décédé en 1908 à l’âge de 76 ans. Il y repose en compagnie de ses parents, des ses frères et sœurs, de certains de ses enfants, ainsi que de deux fidèles domestiques, Sophie WEISSGERBER et Marie WALTER. Fille de verrier, cette dernière, est née en Italie vers 1820, témoignant ainsi de la mobilité proverbiale des verriers à cette époque. Dans cette enceinte les inscriptions sont toutes en langue française témoignant des sentiments francophiles du dernier maître du Hochberg, également très engagé sur le plan politique. Edouard TEUTSCH n’a pas accepté l’annexion de l’Alsace-Moselle par l’Empire Allemand. D’abord élu député à l’Assemblée Nationale siégeant à Bordeaux en 1871, il y proteste contre la cession des deux provinces. En 1874 il se fait élire comme député protestataire au Reichstag à Berlin et y prononce au nom de ses collègues alsaciens et mosellans un discours dans lequel il demande que les populations concernées soient consultées. Ses paroles sont accueillies de la part de la majorité des députés par un brouhaha indescriptible. Suite à cet incident, TEUTSCH et 7 autres députés protestataires quittèrent définitivement BERLIN. En 1879, Edouard TEUTSCH, fidèle à ses convictions, réintègre la nationalité française, devient trésorier payeur général successivement à AUCH, MACON, EPINAL, VESOUL, avant de rejoindre NANCY, où il prit sa retraite. En 1908 la mort le surprend au HOCHBERG auquel il été très attaché. Écoutez ce sketch joué par des comédiennes du Théâtre de Lichtenberg :

La vallée du SCHUSSELBACH mène à ROSTEIG connu pour sa verrerie créée en 1630 sur le territoire du KALENBERG. Suite à son extinction progressive au début du XVIIIe siècle, nombreux sont les verriers de cette manufacture qui se retrouvent dans celles fondées à WINGEN en 1707 et au HOCHBERG en 1715. L’ancien chemin menant à PUBERG suivait le lit du ruisseau sur une centaine de mètres, au lieu-dit Langfurt, autrement dit le long gué. Les deux routes actuelles de ROSTEIG et de PUBERG n’ont été aménagées qu’à la fin du XIXe siècle. A gauche de la D919, après le rond-point de facture récente, subsiste le remblai de la ligne de chemin de fer WINGEN-sur-Moder à SAINT-LOUIS mise en service en 1897. Cette ligne a contribué au développement économique des villages verriers : tous les jours ouvrables deux wagons de verre ou de cristal partaient des manufactures de MEISENTHAL et de SAINT-LOUIS lès BITCHE pour être acheminés vers les Etats-Unis, la Grande Bretagne et le reste du monde. Mais outre l’export des produits fabriqués et l’acheminement des matières premières, le petit train emmenait les verriers de WINGEN, ROSTEIG et SOUCHT vers leurs lieux de travail, la verrerie de MEISENTHAL et la cristallerie de SAINT-LOUIS. A partir de 1922, une main d’œuvre lorraine favorise le développement de la Verrerie d’Alsace à WINGEN SUR MODER grâce au Ziggel, le petit train des verriers. Écoutez ce sketch joué par des comédiennes du théâtre de Lichtenberg :

Revivez l'ambiance du Ziggel avec Jeannot, originaire de Soucht, qui a souvent pris ce train :

Entre le dessin réalisé par Camille Schoell en 1839 et le paysage qui s'offre à notre regard aujourd'hui que d'années passées...pourtant on reconnaît encore certains éléments.

Lors de la création de verreries, les verriers ont commencé par défricher les vallées et les ont aménagées en prairies de fauche irriguées pour nourrir leurs animaux de trait : bœufs et chevaux nécessaires pour le transport des matières premières (sable, bois, argile…) ainsi que les produits de la verrerie, mais aussi vaches et chèvres pour le lait. Jusque vers 1960 cette double activité, de verrier et de paysan s’est maintenue dans le village. Peu à peu, avec l’abandon de cette agriculture traditionnelle, la vallée s’est refermée, gagnée par les friches et les plantations d’épicéas. Depuis 1990, la commune a mis en place une politique permettant d’assainir ces espaces avec le concours de Parc Naturel Régional des Vosges du Nord. Des bovins originaires des Hautes Terres d’Écosse, y ont trouvé leur place, maintenant des espaces ouverts en fond de vallée pour la qualité de la vie des habitants et le plaisir des yeux des visiteurs. Vous souhaitez en savoir plus sur les prairies de fauche? Écoutez le témoignage de cet habitant de Wingen-sur-Moder qui a connu l'époque où l'activité agricole était encore prospère :

Après le passage sous la voie ferrée nous accédons à la forêt où, depuis le chemin on peut distinguer sur le côté gauche d’anciens champs en terrasse aménagés au XVIIIe siècle et replantés d’épicéas au cours du XXe siècle. Dans un cadre harmonieux, la villa Lalique se détache à la lisière sud de l’espace boisé. Cette grande maison de style néo-alsacien a été construite par René Lalique en même temps que l’usine en 1922. Entourée d’un grand parc, elle accueillait la famille Lalique et ses hôtes lors de leurs séjours à WINGEN. Accolée au bâtiment principal, une annexe servait de logement à un couple chargé de l’entretien et de la sécurité de la propriété. L’ensemble bâti est aujourd’hui un hôtel restaurant de charme. Vous souhaitez en savoir plus sur Marc Lalique, le fils de René Lalique? Alors écoutez cet ancien mouliste qui l'a bien connu :

Suite à la construction de la Verrerie d’Alsace, René Lalique acquiert plusieurs prairies de fauche en fond de vallée dont le foin servait à l’emballage de ses produits expédiés à COMBS LA VILLE où se trouvait la logistique ; ces espaces côtoyaient deux étangs, aujourd’hui abandonnés, pour permettre à la famille Lalique et à ses hôtes de pêcher, en particulier la truite lors de leurs séjours alsaciens. Mini réserve naturelle, clôturée pour y accueillir de bovins rustiques, cet espace permet aujourd’hui d’observer des canards colverts et d ‘autres oiseaux familiers des zones humides, ainsi que certaines espèces végétales rares comme le potamot à feuilles de renouée, indicateur de l’exceptionnelle qualité de l’eau. Après avoir contourné la maison forestière du Schweinstich, on rejoint un chemin creux. Cet endroit était désigné sur le plan du finage de 1760 sous le nom de « Hittenwasen ». Sans doute s’agit-il de l’emplacement d’une verrerie oubliée… Le milieu aquatique fut une grande source d'inspiration pour René Lalique. Pour en savoir plus, écoutez Véronique Brumm, directrice du Musée Lalique :

L’église protestante actuelle, ancienne église Saint Ulrich jusqu’à la réforme en 1565, puis simultanée de 1747 à 1922, comporte encore des vestiges des XIVe et XVe siècles. Cette église paroissiale était le centre de l’ancien village du Moyen Age. A gauche de l’église, la maison voisine montre un bel encadrement de porte en grès millésimé 1821 portant le nom d’un verrier du HOCHBERG, Louis HAEHN, dont le père, Jacob HAEHN était venu de la verrerie de FRIEDRICHSTHAL, près de SAARBRUCKEN à la fin du XVIIIe siècle. Les motifs décoratifs et symboliques méritent le coup d’œil : cœur portant les initiales L et S des époux avec le chiffre 3 (drei = treu = fidèle), les arbres de vie, les svatiskas porte-bonheur, les virgules sensées éviter le mauvais œil … D’autres maisons anciennes avec encadrement de grès typiques y sont encore visibles malgré les dégradations résultant des combats de janvier 1945 dans le secteur. Le moulin à eau, serré contre la rive de la Moder, a été fondé en 1574 par le comte palatin de La Petite Pierre, Georges Jean. Reconstruit à plusieurs reprises, il a fonctionné jusqu’en 1961. Plongez dans l'histoire de Wingen-sur-Moder en écoutant le témoignage de Gérard Fischbach :

En face du restaurant et à proximité de l’église catholique, deux ouvrages destinés à perpétuer le souvenir : La croix WINTER : elle a été érigée par la famille d’Ernest WINTER, verrier, mort presque centenaire. Il était le fils de Joseph WINTER, venu de la verrerie de LEMBERG près de PIRMASENS dans le Palatinat, verrerie fondée comme le HOCHBERG par Jean Adam STENGER en 1730 sur les terres des seigneurs de Hanau-Lichtenberg. Les verriers WINTER étaient occupés au HOCHBERG à l’époque de la Révolution et la première partie du XIXe. Durant le deuxième quart du XIXe siècle certains d’entre eux sont partis avec d’autres jeunes verriers de WINGEN à LAUFEN en Suisse, à GIJON en Espagne, à TEXCOCO au Mexique, à WITTEN en Westphalie…pour y gagner leur vie et exercer leur savoir-faire très apprécié de souffleur de manchons ou d’étendeurs de verre à vitre. Le monument dédié aux libérateurs américains, en hommage à l’U.S. Army. C’est à Dominique Heintz, originaire de la commune, que l’on doit cette sculpture. Elle rappelle la meurtrière bataille de janvier 1945 lors de l’Opération Nordwind opposant les soldats américains et allemands. D’une manière symbolique, ce monument associe étroitement la statue de la liberté du sculpteur alsacien Auguste Bartholdi au blason de Wingen-sur-Moder, « d’argent au verre ancien bosselé d’azur », pour se souvenir des combats de la Libération. Anny Truding Mathié fait partie des habitants réfugiés dans le village lors de la bataille de Wingen qui opposait allemands et américains au début de l'année 1945. Voici un extrait de son témoignage écrit en 2005 à l'occasion du soixantième anniversaire de la bataille : "Nous avons descendu les escaliers de la cave et complètement épuisés et encore sous le choc, nous nous sommes assis sur un tas de charbon. Il faisait froid parce qu'il n'y avait plus de vitres aux fenêtres. Après avoir repris son souffle, ma mère nous dit que nous ne pouvions pas rester sur ce tas de charbon et que nous devions chercher un autre endroit. Sous un escalier, nous avons aperçu des caisses en bois et nous nous sommes installés là. Nous étions à peine assis dans ce petit coin étroit et inconfortable qu'un canon installé à Zittersheim nous a pris pour cible. Un obus a traversé avec grand fracas le mur de la maison et a fini dans le tas de charbon. On se serait cru sous une tempête de grêle, nous étions obligés de protéger nos têtes avec nos mains. Encore une frayeur de plus, mais ce n'était pas la dernière, d'autres nous attendaient encore. Croyez-moi, avec ce grand trou dans le mur, la cave était bien aérée et nous avions même la vue sur la forêt. Quand les obus tombaient nous entendions le craquement des arbres cassés. Nous sommes restés là plusieurs jours." Écoutez également son témoignage au sujet des soldats américains présents au village :

René Lalique a commencé à faire construire sa manufacture en 1921 sur une parcelle de forêt domaniale mise à sa disposition par l’Etat. Les bâtiments d’origine, masqués à présent par le bâtiment récent de la logistique, sont construits en béton armé. Dès l’allumage du premier four en 1922, la verrerie produit des réalisations destinées aux arts de la table ainsi que des œuvres admirées lors de l’Exposition des Arts décoratifs industriels modernes organisée en 1925 à Paris, grâce au savoir-faire de la main d’œuvre locale. A l’origine, l’établissement verrier était raccordé à la voie de chemin de fer toute proche reliant Strasbourg à Sarreguemines. Cet aménagement facilitait le transport des matières premières, du charbon et des produits finis. A gauche du chemin menant vers la forêt, s’élève au milieu d’un parc, la maison du directeur de l’usine. Le premier occupant s’appelait Paul SCHWEITZER, frère du célèbre docteur et prix Nobel de la paix Albert SCHWEITZER. Victor BURGUN, originaire de Meisenthal en Moselle lui succèdera comme directeur et habitera la maison de 1924 à 1954. Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, Marc, fils du fondateur de la « dynastie » Lalique, décide de remplacer la fabrication du verre par celle du cristal. Depuis, la manufacture porte le nom de Cristallerie Lalique. En quittant le quartier, on passe devant le Restaurant Au Tilleul, construit en 1929. Une halte « pour les pauvres verriers qui ont toujours soif », selon l’affirmation du propriétaire de l’époque. Jeannot Gaeng, ancien mouliste à l'usine Lalique, nous parle de sa carrière :

Après un cours passage dans la forêt qui domine le village, on rejoint le quartier de la mairie par la rue des tisserands. La mairie et la « maison blanche », sont deux anciennes maisons d’école édifiées à la fin du XIXe siècle. Elles occupent la place de la Verrerie de WINGEN, construite en 1707 sur les terres des Comtes Palatins de La Petite Pierre. Cette verrerie, baptisée officiellement « WINGENER Hutte » par les seigneurs, a été en activité durant une cinquantaine d’années et a donné naissance au quartier HUTTE ou NEUHUTTE. Aujourd’hui on peut découvrir les anciennes maisons des familles de verriers qui avaient pour nom GRAESSEL, HAEHN, REPPERT, STENGER, WINTER, HILT. La maison WINTER, au 3, rue du Rocher, a été reconstruite en 1861 par Georges WINTER, verrier, revenu de TEXCOCO au Mexique, avec l’or qu’il y a gagné selon la tradition familiale. A côté, la maison HAEHN, située au fond d’une grande cour, se situe probablement à l’emplacement de la ferme de la verrerie. Ses habitants sont toujours surnommés « s’HOFTLUIS ». Sur le linteau sont réunis les noms de vieilles familles de verriers : STENGER, REPPERT, GRAESSEL autour d’un cartouche portant deux blasons. Peut-être s’agit-il des armoiries un peu déformées des GRAESSEL (bélier) et des STENGER (X).

Situé près du petit pont qui enjambe le ruisseau GITZENBAECHEL, tout près de son confluent, le lieu-dit SANDWAESCH, lavoir de sable indique qu’à cet endroit le sable local, généralement tiré des cours d’eau, était débarrassé des ses impuretés avant de servir de matière première pour la fabrication du verre. Le sable rouge de notre région contenant de l’oxyde de fer, donne au verre une coloration verdâtre. Ce verre était appelé Waldglas ou verre forestier. Pour obtenir du verre blanc nos verriers du XVIIIe et du XIXe siècles s’approvisionnaient en sable plus pur et plus fin dans la forêt d’HAGUENAU. A gauche de la rue, à l’entrée du chemin du pâturage, une grande borne en grès portant les lettres PL (Pfalz-Lützelstein) et les trois chevrons des Hanau avec la date de 1769, marque la frontière des seigneuries de La Petite Pierre et de Hanau-Lichtenberg. A droite de la rue se trouve le lieu-dit Breitmatt, le grand pré qui, au milieu du XVIIe siècle déjà, était loué aux verriers de Rosteig-Kahlenberg.

Poursuivez votre découverte en visitant le Musée Lalique. Informations pratiques - horaires du musée :: Les dernières admissions se font une heure avant la fermeture du musée. Rappel : les animaux ne sont pas admis dans le musée. Février-mars-oct-nov-déc : du mardi au dimanche et jour férié : de 10h-18h D'avril à septembre : tous les jours de 9h30 à18h30 Ouvert tous les jours de 10h à 19h, y compris les jours fériés. Octobre - novembre : Lundi : Fermé Mardi à dimanche : 10h00 à 18h00, y compris les jours fériés. Décembre : Ouvert tous les jours de 10h à 19h Ouverture exceptionnelle de 10h à 16h les 24 et 31 décembre Musée fermé le 25 décembre

Le Château Hochberg, initialement nommé Château Teutsch, du nom de la famille qui le fit construire, se dresse sur le site de la Verrerie du Hochberg qui ferma ses portes en 1868 et dont Victor et Edouard Teutsch furent les derniers propriétaires. Ils firent bâtir cette majestueuse demeure entre 1863 et 1866. En accord avec le style Napoléon III, le Château Hochberg, arbore d’imposantes façades agrémentées de bandeaux en grès rose, de grandes fenêtres et de beaux balcons en fer forgé. Pendant de nombreuses années, la Verrerie du Hochberg fut le haut lieu des activités professionnelles mais aussi de la vie quotidienne de la famille Teutsch, et plus particulièrement d’Edouard Teutsch. Cette maison de maître, intimement liée aux traditions et savoir-faire verriers à l’origine de la Maison Lalique, s’offre une renaissance en devenant, depuis le 12 août 2016, un hôtel quatre étoiles et un bistrot moderne à la cuisine raffinée et accessible proposant une carte construite autour de produits locaux de saison.