L’œuvre de Hugo Bel Promenons-nous dans les bois apparaît au spectateur à l’abri d’un sous bois et proche d’un cours d’eau, deux éléments naturels qui créent un espace protégé et presque intime. Le bruissement constant des feuilles et de l’écoulement de l’eau, les ombres dansantes des feuillages sur une surface blanche et ponctuée de cavités transmettent une sensation d’instabilité permanente et l’image d’une forme tendant constamment à un état de déliaison.
Notre œil perçoit au premier abord un organisme blanchâtre à la nature indéterminée, oscillant entre un champignon et une forme mousseuse, spongieuse ou corallienne, qui se serait anormalement répandue à la surface d’une roche selon un schéma simple, modulaire, répétitif.
L’œuvre est composée de colombins de plâtre blanc superposés qui forment un maillage à plusieurs niveaux. Les dépressions qui résultent du tressage du dernier niveau sont déterminées uniquement par la forme du rocher de base, aucun choix subjectif n’a pénétré l’ensemble, ce qui accroît cette impression d’un organisme qui grandit de manière autonome. En outre la structure stratifiée de la forme nous entraîne dans un imaginaire géologique de la stratification des temps et de la terre. Cette disposition visuelle mime ainsi une temporalité ancestrale, nous donnant l’impression d’une forme qui se serait développée très lentement à travers les âges.
Cette lenteur temporelle biologique fait écho à la lenteur de nos tentatives de reconnaissance ou d’identification. Etant donné cette incapacité dans laquelle nous sommes à attribuer une identité stable à l’objet sous nos yeux, l’œuvre nous oblige à observer un temps de vision prolongé durant lequel notre cerveau s’évertue dans des associations d’images figuratives de toute sorte : cette œuvre nous met peut-être face à notre crainte de l’informe, qui nous pousse à vouloir subitement combler un manque de sens par des images qui nous sont familières.
C’est pourquoi l’œuvre de Hugo Bel fonctionne comme un embrayeur esthétique : elle active les processus paréidoliques des spectateurs, c’est-à-dire la propension de notre cerveau à reconnaître des formes figuratives ou fonctionnelles dans une matrice abstraite (les spectateurs ont pu voir ici différents animaux, des tressages de cordes, des voiles). L’image d’un système de cordage, d’un filet, renvoie à ses propriétés de transparence, de diaphanéité, à l’idée d’une forme intangible et évanescente qui précisément ne se laisse jamais fixer dans un objet univoque.
On dira que chez Hugo Bel l’objet est sublimé presque au sens alchimique du terme : l’œuvre oscille entre une existence biologique par son caractère d’organisme vivant s’adaptant aux conditions d’un milieu naturel et une existence mythologique : tel un fantôme, l’œuvre est hantée par une multiplication de formes figuratives qui la pénètrent aléatoirement et se superposent entre elles. Elle semble plonger ses racines dans des temps anciens et provenir d’un ailleurs féérique qui nous est étranger. De même, elle condense en elle les quatre éléments primaires de la poétique bachelardienne : l’eau, par sa surface ondulée et mouvante, le feu et l’air, par leur caractère aérien et par l’évocation de l’image d’un filet de pêche, enfin la terre, par son renvoi à une dimension géologique de l’écoulement du temps. Cette œuvre est un miroir sémantique : elle démultiplie les associations d’images qui s’emboîtent, où la stratification des colombins reflète la stratification des sens
Rédacteur : Usine Utopik