Louis Guilloux et Saint-Brieuc, l'histoire d'un homme et d'une ville

Un certain jour de janvier 1899 naît ici, dans cette rue, Louis Guilloux, futur écrivain respecté de ses contemporains. De son père cordonnier, Louis Marie Guilloux, qui cofonda le Parti socialiste de Saint-Brieuc, il tiendra le goût de la révolte et du militantisme, comme l'auteur le raconte dans "La Maison du Peuple". Une enseigne indique aujourd'hui, en signe de "ce grave événement" comme il le disait lui-même dans son livre "La Bretagne que j'aime", la naissance de l'écrivain, le 15 janvier 1899. Photo : Louis Guilloux et ses sœurs.

C'est dans ce théâtre que Louis Guilloux essayait de se faufiler avec ses amis d'enfance pour pouvoir assister aux spectacles. Il dira plus tard dans "Le Pain des Rêves" qu'ils couraient beaucoup de risques "peut-être pour pas grand-chose", en ajoutant dans un entretien avec Roger Grenier en 1975 : "Un enfant de 10 ans, 12 ans quand il va au théâtre, il est dans l'enchantement, bien sûr ! Mais quand il réfléchit, un peu plus tard à ce qu'il a vu, à ce qu'on lui a donné, il se dit : Quand même, hein, c'était pas glorieux !" Le Petit Théâtre de La Passerelle date de 1884 et est inscrit à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques depuis 1996. Il est un des 170 théâtres historiques dits "à l’italienne" recensés en France. Il permet d’accueillir 250 spectateurs qui se répartissent du parterre jusqu'aux loges situées au premier et deuxième étage. Le "Poulailler", l’étage supérieur qui est également appelé "Le Paradis" et qui accueillait à l’origine les spectateurs d’origine modeste, est désormais peu utilisé car il n’offre pas le même confort que dans les autres espaces du théâtre.

C'est à la place de l'actuel bâtiment de Saint-Brieuc Agglomération que se trouvait la rue de la Grenouillère où le père de Louis Guilloux avait sa cordonnerie. Louis Guilloux y a aussi fait vivre ses personnages François et Angélina Quéré, directement inspirés de ses parents. Nous pouvons distinguer en photo la cordonnerie du père Guilloux qui fait l'angle de la place.

Créé en 1912, ce café tabac est un lieu très connu de Saint-Brieuc, dans lequel Louis Guilloux avait ses habitudes. Aujourd'hui, ce bistrot d'antan devenu bar à vin sait réunir dans son décor au charme désuet toutes les générations. Adeptes du petit chaume du samedi soir ou œnologues avertis s'adonnent alors à un culte épicurien. Les saintes écritures y veillent : au dessus du comptoir, on peut lire "Buvons le vin d'ici plutôt que l'eau de là".

L'actuel collège Anatole Le Braz étai à l'origine un lycée. Louis Guilloux y fît ses études jusqu'en classe de troisième et y rencontra Georges Palante (professeur de psychologie et de sociologie), qui devint un ami proche et qui lui inspira le personnage de Cripure dans son roman "Le Sang Noir". Louis stoppa ses études en classe de troisième et devint surveillant de l'internat en 1916. L'établissement est chargé d’histoire. Du "Collège du Paradis" (1604) au évènements à la fois tragiques et glorieux de la guerre 39-45, en passant par le "Collège Royal" (1847), le "Lycée Impérial" (Second Empire), la structure y a vécu des heures mouvementées. Lycéens et éducateurs y résistèrent. Les plus célèbres furent arrêtés pour faits de résistance le 10 décembre 1943. Georges Geffroy, Pierre Le Cornec, et Yves Salaün ont été fusillés le 21 février 1944 au fort du Mont-Valérien. Ils auraient tué un militaire allemand isolé à Plérin, et lui auraient volé son arme. Au total, en comptant les autres arrestations avant ou après le 10 décembre 1943, 16 élèves furent déportés et 11 y trouvèrent la mort. Photos : La première photo nous montre Louis Guilloux, surveillant au lycée Le Braz, la deuxième, au centre, debout, Georges Palante. Extrait audio : Pierre Petit évoque les lycéens résistants lors de la Seconde Guerre mondiale.

C'est dans cette bibliothèque que Louis Guilloux rencontre Jean Grenier en 1917. Il restera son ami tout au long de sa vie. Jean Grenier sera par la suite professeur de philopshie d'Albert Camus à Alger. S'y trouvent également les fonds d'archives de Louis Guilloux, qui constituent un ensemble d'importance nationale. Acquis pour une majeure partie auprès de la famille de l'écrivain, le fonds est constitué de correspondances, de manuscrits et tapuscrits relatifs à l’œuvre publiée et inédite, de documents personnels, d'iconographies, et de toute une bibliothèque personnelle. Ces documents font l'objet d'un travail de valorisation, via les relations avec le monde de la recherche et la proximité avec la Société des Amis de Louis Guilloux.

Construite en 1863, les voies de la gare sont surplombées d'une passerelle piétonne, œuvre d'Harel de la Noë, elle datait de 1909. Des travaux prévoient le remplacement de la construction, qui datait de 1909. Louis Guilloux a passé beaucoup de temps dans cette gare, se rendant très souvent à Paris et certaines fois à Angers. Comme nombre d'écrivains, il écrivait beaucoup dans le train. Le parc de locomotives de Saint-Brieuc était très important durant la Seconde Guerre mondiale. De 500 à 600 ouvriers étaient présents au dépôt de la ville, formant l'atelier de réparation de tout l'ouest de la France ; il y avait également une école d'apprentissage. Cela en a donc fait une cible de choix pour les alliés qui, à plusieurs reprises, ont mitraillé les locomotives dans le but de les neutraliser. Extrait audio: Lecture de Louis Guilloux du "Sang Noir". Source : Bistrots de L'Histoire 2001. Photos : Les troupes allemandes remontent vers la gare. La troisième photo présente la partie principale de la gare, vers 1931.

A Saint-Brieuc, arrivent dès l'été 1936 des réfugiés espagnols. Lui, fils de cordonnier, voit des enfants sans chaussures, des femmes et des hommes dépouillés, logés dans des conditions inhumaines. Louis Guilloux, alors responsable du Secours Rouge des Côtes-du-Nord, interpelle la préfecture pour soutenir ses frères humains. Une fois les réfugiés espagnols arrivés à Saint-Brieuc par la gare de marchandises, ils sont dirigés vers "l'usine Bessèche". Le camp est installé au fond de la vallée, occupé par 500 réfugiés de juin à fin octobre. Ils y passent l'été avec interdiction de sortir. En 1939, à la gare de Saint-Brieuc, l'écrivain se démène encore au sein de la commission d'accueil aux évacués qui fuient l'avancée des troupes allemandes et débarquent de toutes parts. Photos : La rue de Gouëdic dans les années 1930. Extrait audio : Pierre Petit, fils du secrétaire du Secours Rouge à l'époque de Louis Guilloux.

Construite de 1902 à 1905, l'ancienne gare de Saint-Brieuc est l'œuvre de Louis Harel de la Noë. Elle était le point de départ de quatre lignes en direction de l'autre gare de la ville, du phare du Saint-Laurent, de Plouha, et de Moncontour. Elle était utilisée pour le transport de marchandises et de personnes sur les différentes lignes. La bâtisse bien caractéristique de cette époque fut reconvertie en restaurant universitaire et fait l'objet depuis 2014 d'une inscription au titre des Monuments Historiques de France.

Louis Guilloux aimait se promener dans ce parc. Dans ses romans, il y fait se dérouler quelques bals, des rendez-vous galants mais aussi un cortège un certain premier mai, auquel participe François Quéré, allégorie de son père dans "La Maison du Peuple", et ses camarades socialistes. Dessiné par Barillet Deschamps, directeur des jardins de la ville de Paris, le Parc des Promenades, jardin public accessible en permanence, forme depuis le 19ème siècle, un environnement paysager en centre ville. Il présente un intérêt botanique puisque s'y trouvent ifs, séquoias, allées de tilleuls et de platanes centenaires, ainsi qu'artistique, du fait des sculptures disposées au fil des allées. Entre autres, voici donc un buste hommage à l'écrivain Villiers de l'Isle Adam sculpté par Elie Le Goff père, ainsi que le chef d’œuvre de Paul Le Goff, très inspiré de Rodin, la forme se dégageant de la matière, ou encore une Bretonne du Goëlo par Francis Renaud. Le Parc des Promenades participe au concept du Book Crossing où des armoires à livres sont disposées à l'entrée, en libre-service. Chacun peut se servir, lire dans le parc, ou faire circuler le livre pour partager ses coups de cœur. Les briochins sont invités à y déposer leur propres lectures.

Louis Guilloux ne portait pas ces lieux dans son cœur et le faisait comprendre par l'intermédiaire de ses personnages dans ses écrits. Il déplorait le déplacement du centre ville vers ce lieu, ainsi que le délaissement de la cathédrale Saint-Etienne et son quartier. Il déplorait aussi le manque de vie de cette place qui ne vivait que des commémorations militaires. Selon lui, les quartiers, à l'ouest, où loge la bourgeoisie, sont un autre monde, plus riche, pas nécessairement plus heureux, et d'un goût hasardeux : l'église Saint-Michel, bâtisse du milieu du 19ème, massive et suffisante, a "la subtilité des jeux de cubes".

Louis Guilloux a trouvé dans ce cimetière dans le carré militaire, la tombe du père de son ami Albert Camus décédé à la suite de ses blessures au début de la Première Guerre mondiale. Il a accompagné son ami Albert se recueillir sur la tombe du jeune zouave, Louis-Auguste Camus, décédé à l'hôpital militaire de Saint-Brieuc en octobre 1914. Louis Guilloux est enterré en 1980 dans ce même cimetière. Le romancier révolté ressent, dans ce lieu particulièrement, les morts et les vivants comme appartenant à la même communauté. Les vivants viennent rendre visite à leur proches. Morts et vivants portent les mêmes noms. Les deux mondes se rejoignent alors.

En 1932, Louis Guilloux fait construire, au 13 rue Lavoisier, une maison où il emménage avec sa femme Renée. Il n'y a alors que des champs. Ils y font construire une petite maison en pierre, bourgeoise, mais simple. Louis Guilloux a connu le succès avec ses premiers livres mais c'est grâce aux revenus de Renée, professeur, que le couple a pu bâtir sa maison. Pendant la Seconde Guerre mondiale y aura lieu, en 1943, une réunion importante pour la résistance en Côtes d'Armor, celle de la création du comité de département de la résistance. La même année, il accepte d'accueillir une jeune résistante communiste du nom d'Hélène Le Chevalier à condition qu'elle ne donne pas de rendez-vous dans cette maison et qu'elle prévienne ses hôtes de l'heure à laquelle elle pense rentrer. Elle finit par se faire arrêter dans cette maison. La jeune fille prend les traits de Monique dans "Le Jeu de Patience" où l'arrestation est relatée. Après le décès de Louis Guilloux le 14 octobre 1980, cette maison fût rachetée par la ville et est maintenant devenue la "Maison du Peuple" dont l'écrivain rêvait en 1993. Elle fait désormais partie du réseau "Maison des Illustres", label décerné par le Ministère de la Culture et de la Communication. C'est ici que se termine notre voyage sur les traces de Louis Guilloux. Visites gratuites de la Maison de Louis Guilloux sur réservation auprès de la bibliothèque municipale : 02 96 62 55 19. Photo : La fille de Louis et Renée Guilloux, Yvonne, devant la maison.

Le 13 juillet 1914 : Louis Guilloux embarque au port du Légué, sur le Devonia, pour un séjour de deux mois en Angleterre. En septembre : retour à Saint-Brieuc et rentrée scolaire au lycée Le Braz où l’on vient d’installer un hôpital militaire.