



L’histoire de la Somme durant la Grande Guerre trouve son apogée dans la terrible bataille de 1916. Cette partie du territoire picard est sans conteste la plus intimement liée à la mémoire des Britanniques, une zone où chaque village est associé à une unité ou à un fait d’armes célèbre.
L’ATTAQUE MEURTRIÈRE DU 1ER JUILLET
À l’hiver 1915, dans le cadre des opérations décisives à mener contre l’Allemagne, Français et Britanniques se mettent d’accord pour mener une grande offensive commune capable de renverser le cours de la guerre. Prévue pour l’été 1916, elle sera devancée par celle des Allemands à Verdun, en février. Pour Joffre, il devient dès lors important de détourner l’ennemi de Verdun avec une attaque dans la Somme. Il est pour cela assuré du soutien du nouveau chef des armées britanniques, le général Haig. Ce dernier sait que les Britanniques vont dès lors devoir utiliser la nouvelle armée «Kitchener» (du nom du ministre de la Guerre de l’époque), formée en majeure partie de volontaires inexpérimentés et non plus uniquement de professionnels. Les Britanniques attaqueront au nord de la Somme, devant Albert, autour du plateau de Pozières, en liaison avec les Français au sud, qui se dirigeront vers Péronne. Le ter¬rain réservé aux Britanniques est très accidenté et parsemé de villages transformés en bastions par les Allemands. Le 1“ juillet 1916, à 7h30, les 40 divisions alliées s’ébranlent. Les hommes franchissent le parapet baïonnette au canon. Près de La Boisselle, les compagnies de mineurs gallois font exploser une galerie de mines qu’ils avaient creusée sous les premières lignes allemandes. L’explosion forme un cratère de plus de 100 m de diamètre et 30 m de profondeur : le Lochnagar Crater. C’est le signal du départ des fantassins.
Très vite, l’attaque britannique qui s’étend sur un front de 30 km est complètement bloquée. Les assaillants sont décimés par les tirs des mitrailleuses allemandes en tentant de traverser le no man’s land. Les soldats allemands, sortis de leurs abris souterrains, reprennent leur position durant les 10 minutes d’intervalle laissé entre Je barrage d’artillerie et le début de l’assaut de l’infanterie britannique. À Beaumont-Hamel le Newfoundland Regiment (Terre-Neuve) est presque entièrement décimé. Le premier jour de l’attaque est un carnage. Au soir du 1er juillet, l’armée britannique a perdu 57470 hommes, dont 19 240 morts ou dis¬parus et 35493 blessés. C’est le jour le plus meurtrier de toute l’histoire I de la Grande-Bretagne.
Côté français, l’avance est plus nette. La 6e armée progresse sur 12 km I le long de la Somme vers Curlu. Frise est emportée dès le 2 juillet. Le I premier corps colonial et le 35e corps de réserve s’emparent des villages I de Dompierre, Becquincourt et Faÿ. Mais l’échec des Britanniques au I nord empêche les Français de poursuivre leur avance. Malgré les pertes I du 1er juillet, Haig est décidé à continuer l’effort sous la pression du haut- I commandement français. Commence alors une série d’offensives et de I contre-offensives sur tout le front de la Somme qui dureront jusqu’au I mois de novembre.
LA RÉSISTANCE DES ALLEMANDS
Après l’échec de la rupture au mois de juillet, la bataille se transforme en I guerre d’usure. Ce sera une guerre infernale pour les soldats embourbés I dans la boue de la Somme. Durant cette seconde phase de la bataille, I les Britanniques changent de tactique et procèdent à des assauts I limités à Longueval, Contalmaison ou Fricourt. À partir du 15 juillet, I les Allemands ripostent avec vigueur autour du bois de Delville, Pour I chaque tranchée, les soldats australiens s’acharnent et creusent. C’est I durant la guerre que les anciens chercheurs d’or venus des antipodes I gagnent leur surnom : les Diggers. À partir du 23 juillet, ils se lancent I à l’attaque de Pozières, sur la route Albert-Bapaume. Un soldat sur trois meurt devant le village englouti sous la terre et le feu. Pozières était le verrou qu’il fallait faire sauter pour dominer la colline de Thiepval. Après la prise de ce village, le général en chef allemand, von Falkenhayn, doit faire appel à 23 nouvelles divisions pour se maintenir sur le front de la Somme.
Le 3 septembre, une nouvelle attaque générale est lancée par les pliés. Les Français progressent au sud, mais butent sur Vermandovillers. Les Australiens épuisés sont relevés par les Canadiens près de la ferme du Mouquet, à proximité de Thiepval. Le 15 septembre, nouvelle attaque alliée au cours de laquelle les généraux se décident à utiliser pour la première fois les chars britanniques. Les monstres de métal effrayent les Allemands, mais sont difficiles à manœuvrer ou s’enflamment. Sur les 49 chars alignés, une poignée parvient à entrer dans Fiers. Pendant ce temps, Combles devient pour les Allemands leur centre de résistance au nord de la Somme. Situé dans une cuvette qu’ils ont transformée en véritable forteresse, le village - où serpentent les souterrains dê l’ancien château - devient une véritable fourmilière avec places d’armes, postes de secours, conduits d’aération, réseau électrique et téléphonique. À la jonction des armées françaises et britanniques, Combles est le théâtre d’un massacre lors de l’assaut donné par les Français le 25 septembre. Ils enlèvent ce bastion, que l’on disait indestructible, et font 1 200 pri¬sonniers. Thiepval, l’autre forteresse allemande qui résistait depuis trois mois aux assauts britanniques, tombe le lendemain. Aux mois d’octobre et novembre, les combats s’essoufflent et se concentrent sur la route de Bapaume autour de Sailly-Saillisel, où des milliers de Français échouent ■ devant un mur de renforts allemands.
LA STABILISATION DU FRONT
L’échec des premiers jours de la bataille de la Somme puis la guerre d’usure qui s’ensuit s’expliquent en grande partie par l’utilisation du terrain par les troupes allemandes. Résolues à tenir à n’importe quel prix dans la Somme, les Allemands s’acharnent à utiliser le moindre relief pour installer des bastions comme à Thiepvalavec la terrible Feste Schwaben. Les soldats creusent des galeries souterraines et utilisent les caves des maisons. Chaque ruine devient un rempart inexpugnable. Le sol crayeux de la Somme facilite leurs travaux. Des bunkers en béton, comme le célèbre Gibraltar à Pozières, résistent aux bombardements. Toutes ces installations ont montré aux Franco-Britanniques com¬bien il était difficile d’anéantir l’adversaire par le pilonnage d’artillerie. L’infanterie doit progresser seule, car les canons ne peuvent pas avan¬cer sur un terrain aussi retourné et boueux. Certains bastions, aban¬donnés après leur retrait en 1917, seront réinvestis par les Allemands en 1918, comme au Mont-Saint-Quentin, près de Péronne. Cette véritable forteresse est prise d’assaut par la 2e division australienne le 1er septembre 1918.
Mais c’est bien le fleuve de la Somme qui marque son empreinte sur le champ de bataille. La Haute-Somme est une vallée sauvage qui ser¬pente sur près de 40 km au gré de méandres prononcés. Le fleuve est un élément important, particulièrement présent dans la vie quotidienne des combattants, ils s’y baignent ou y font leur lessive. Sur ses berges, on achemine vivres et munitions et on évacue les blessés. Une voie de chemin de fer avait été construite spécialement le long du fleuve pour l’offensive du 1er juillet. Le petit train qui circulait pouvait transporter quotidiennement jusqu’à 1500 tonnes de matériel et munitions. En 1919, il servit à acheminer le matériel de la reconstruction, tandis que le fleuve continuait à rendre des corps. On proposa de planter des forêts de pins, comme à Verdun, sur l’immense zone incultivable de part et d’autre de la Somme. Mais après un intense effort humain, la terre de la Somme fut heureusement remise en culture.
LE SORT DES BLESSÉS
À l’hiver 1916, le bilan des pertes (morts, blessés et disparus) était mons¬trueux dans la Somme: 498000 pour les Britanniques, 440000 pour les Français et presque autant pour les Allemands. Près de 40 % des poilus français seront blessés au moins une fois durant la guerre. Bien plus que les gaz, les mitrailleuses furent les armes les plus meurtrières. Mais ce sont les projectiles, comme les fameux Shrapnels, des obus à balles, qui seront responsables des plus graves blessures. Pour les milliers de blessés
britanniques évacués sur la Somme, la ration de rhum ne suffisait pas à faire taire la douleur. Cependant la médecine, qui avait largement progres¬sé au XIXes, parvient à élaborer de nouvelles techniques durant la guerre: radioscopie aux rayons X, greffes, transfusions sanguines, orthopédie, création de prothèses. On estime à 300000 le nombre de soldats grands mutilés par la guerre. Pour les fameuses «gueules cassées», on invente une nouvelle chirurgie pour tenter de remodeler leurs visages détruits. Après les blessures physiques, les traumatismes psychologiques causés par les combats furent l’une des pathologies les plus courantes, mais les plus mal soignées.